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Beldia, La Landrace Marocaine En Danger

Les agriculteurs marocains à travers les montagnes du Rif ont utilise la Landrace marocaine pour fabriquer du haschisch durant les 6 dernières décennies. Le Maroc est le premier producteur mondial de haschisch depuis le début des Années 1980. Que ce soit dans un coffeeshop d’Amsterdam, dans une grande ville d’Europe occidentale, ou lors d’un voyage au Maroc, la plupart des amateurs de haschisch ont vu cette résine marocaine blonde chocolatée. Cependant, aujourd’hui, la Beldia, variété de cannabis utilisée pour la fabrication du fameux hasch Marocain, est en grand danger d’extinction.

La riche histoire du kif au Maroc

Moroccan Sesbi Pipe

Qu'est-ce que le kif?

Les Marocains ont commencé à produire du haschisch au Maroc à la fin des années 1960, suite à une demande croissante de l’ouest.
Le Maroc fait partie du parcours hippie traditionnel des années 1960 et 1970. Les Hippies venant du monde occidental ont probablement contribué à moderniser l’industrie du cannabis Marocain. Ils ont introduit le processus de fabrication du haschisch tamisé. Avant cela, les Marocains n’exportaient pas beaucoup de cannabis. Ils consommaient simplement le kif et le majoun. Kif est un mot d’arabe marocain pour décrire les fleurs de cannabis séchées (Marijuana). Kif est aussi le nom de la souche locale traditionnelle. Le majoun ressemble à une pâtisserie en forme de boule et contient divers ingrédients tels que des fruits secs, des noix, du miel et bien sûr, du kif. Le majoun ou Majun est une confection marocaine ancestrale.
La vente de kif sur les étals de tabac était légale sous les gouvernements coloniaux français et espagnols jusqu’à l’indépendance du Maroc en 1956.

Moroccan Sesbi Pipe

Premières plantes de cannabis dans le Rif

Les premières graines de cannabis ont probablement été importées d’Asie centrale au Maroc par les Phéniciens vers 1000 av.
Aux alentours de cette période, les Phéniciens construisaient des postes de commerce le long de la mer Méditerranée. Ce peuple de conquérants légendaires et de marins exceptionnels, était également passionné de cannabis.
Selon d’autres sources, l’introduction du cannabis dans la région du Rif est apparue plus tard, au cours de des invasions arabes. Cependant, le kif est, par tous les dires, cultivé dans le Rif depuis au moins 1000 ans! Ce qui est plus que suffisant pour qu’une plante cultivée s’adapte à son environnement. Au fil des siècles la plante a développé certaines caractéristiques spécifiques.

Une constitution génétique compliquée

Il est très compliqué, voire impossible, de connaître la constitution génétique de la Beldia marocaine.
Cependant, il s’agirait probablement d’un hybride entre des souches du Moyen-Orient telles que les landraces libanaises, Syriennes et Iraniennes et des variétés de chanvres sud-européens. Cela expliquerait pourquoi les plantes de kif ont des pales très étroites et produisent des taux relativement élevés de CBD. Ce cultivar produit également de longues tiges fibreuses et des petits trichomes qui sont des caractéristiques très courantes parmi les variétés de chanvre. Bien entendu, l’hybridation aurait eu lieu il y a plusieurs centaines d’années, par conséquent, nous pouvons dire que la Beldia marocaine est une véritable landrace.

Moroccan Landrace Plant

Des Conditions difficiles

Les rifains cultivent traditionnellement le kif en haute altitude dans les régions reculées des montagnes du nord du Maroc, la région du Maroc qui reçoit le plus de précipitations.
Au fil des siècles, le kif a dû s’adapter à un processus de désertification graduel. Parce que les étés sont devenus de plus en plus secs, avec très peu d’eau, il est devenu de plus en plus difficile pour le kif de continuer à grandir et fleurir jusqu’à l’automne.
C’est pourquoi, alors que la plupart des plantes de cannabis entrent en floraison vers le mois d’août, lorsque la durée du jour commence à diminuer rapidement, le kif marocain commence à fleurir dès la fin du mois de juin. En d’autres termes, la Beldia entre en floraison malgré le fait que les jours s’allongent toujours jusqu’au solstice d’été du 21 juin.

Adaptation naturelle à l'environnement

Au fil des siècles, les plantes de kif se sont adaptées à un été avec de moins en moins de précipitations en fleurissant presque automatiquement. Les seules autres variétés de cannabis à floraison automatique proviennent du « cannabis ruderalis ». C’est une espèce de cannabis à bas THC originaire d’Europe de l’Est et d’Asie centrale.
Le « cannabis Ruderalis » fleurit tôt parce que l’été Est-européen est court et que l’automne est trop froid pour que les plantes murissent complètement. De même, le kif a progressivement commencé à fleurir plus tôt car, dans le Rif, la fin de l’été et le début de l’automne sont trop secs pour que la plante continue de croître. Ce n’est pas une variété à floraison automatique à proprement parler, mais elle nécessite des périodes de nuit beaucoup plus courtes que la plupart des variétés de cannabis pour entrer dans sa phase de floraison.

Travailler Avec Mère Nature

La Landrace marocaine, appelée Beldia par les locaux, est donc une Sativa à floraison extrêmement rapide.
Ses graines sont beiges, petites à moyennes et peuvent être sans bande ou avoir quelques rayures. Beaucoup de graines de kif semblent dénuées de rayures car elles ont été recueillis à partir du tamis à haschich. Pendant la fabrication du haschich, l’enveloppe extérieure des graines se détache, d’où l’apparence sans rayures.

De même, ce cultivar marocain traditionnel a su s’adapter à la culture dans un sol pauvre sans beaucoup d’amendement. Par conséquent, la Belia peut prospérer dans un sol pauvre et nécessite beaucoup moins d’engrais que la plupart des autres variétés de cannabis.

La Beldia marocaine s’est également adaptée au temps chaud et sec grâce aux cultivateurs marocains.
Au fil du temps, ses feuilles sont devenues plus étroites, réduisant ainsi les besoins en eau, les agriculteurs rifains ont rendu cette adaptation possible en travaillant main dans la main avec la nature, sélectionnant les plantes les mieux adaptées à ces conditions.
Ce fut une sélection lente et progressive qui a donné à la Landrace marocaine ses caractéristiques uniques, son odeur, son goût et ses effets.

Beldia Marocaine a Ketama.

Champ de Kif pres de Ketama, provinde d’Al Hoceima, 1985. Musigny23.

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Ancienne landrace Marocaine vs kif Moderne

En raison de la forte demande de haschisch marocain, en particulier venue d’Europe, la façon de cultiver le cannabis des rifains à radicalement changée.

Le kif traditionnel était cultivé pour ses fleurs raffinées. Les agriculteurs ne cultivaient que quelques plantes pour leur consommation personnelle aux côtés d’autres cultures. Ils avaient l’habitude de prendre grand soin de leurs petites parcelles de cannabis, et ainsi, préserver les graines de leurs meilleures plantes pour l’année suivante. C’est pourquoi, la Beldia traditionnelle d’avant les années 1960 est une Sativa de qualité avec de nombreuses branches et une douce odeur de miel avec des notes de menthe.

Cependant, les plantes de kif marocains d’aujourd’hui ont toujours le potentiel génétique de produire des fleurs de très haute qualité, mais, seul un programme de reproduction approfondie sur plusieurs générations pourrait ramener le kif original d’avant les années 1960.

Méthodes à l'ancienne

Bien que les Marocains ne fabriquent du haschisch que depuis environ 50 ans, le kif existe depuis longtemps!
Les Marocains fumaient la marijuana (Kif) mélangée à du tabac avec une pipe sebsi (un long tube en bois avec un récipient en argile étroit et un écran en métal fin). Certains peuples Berbères habitent la région du rif, au nord du Maroc, depuis plus de 10 000 ans. Au fil du temps, ils ont développé une société agricole sophistiquée.

Les Berbères sont divisés en plusieurs groupes ethniques y compris les rifains, un des groupes berbères installés dans le Rif. Il y a mille ans, le rif était beaucoup plus vert et les précipitations beaucoup plus abondantes, ce qui a permis aux peuples berbères de développer des techniques agricoles assez élaborées. C’est pourquoi les rifains cultivent traditionnellement le kif dans les hautes altitudes des montagnes reculées du nord du Maroc, la région du Maroc qui reçoit le plus de pluie.

En ce 12 août, cette Beldia est presque prête à être récoltée.

Une nouvelle industrie du haschisch

La production de haschisch marocain est estimée par certains comme ayant commencé dans les années 1950. Cependant, elle reste relativement récente par rapport à l’histoire bien établie du haschisch en Afghanistan et au Liban. Aujourd’hui, le kif marocain ne ressemble en rien à ce qu’il était il y a 50 ans. La plupart des plantes sont plus courtes, produisent de plus petites branches latérales et moins de glandes résineuses que leurs ancêtres rifaines. Beaucoup d’hybrides modernes poussent maintenant dans tout le Rif, mais il ne faut pas les confondre avec le kif.Pratiques agricoles modernes.

Pratiques agricoles modernes

Les plantes de kif d’aujourd’hui produisent des fleurs de qualité inférieure à cause de 3 facteurs principaux:

1) les méthodes de culture: les plantes poussent trop près les unes des autres, reçoivent un engrais chimique, les agriculteurs les récoltent trop tôt et les font sécher au soleil.

2) Manque de reproduction sélective: les agriculteurs marocains ne conservent plus les semences des plantes avec les traits les plus désirables, de nos jours, ils mélangent souvent toutes les plantes pour faire le haschich et collectent les graines après tamisage.

3) Pollinisation croisée: le pollen de variétés étrangères ainsi que de souches hybrides s’est mélangé à la variété locale Beldia.

Une souche de Landrace en voie de disparition

La race locale marocaine a non seulement diminué en qualité et en puissance, mais elle est devenue rare.En raison de cultivateurs modernes attirés par le profit, la landrace elle-même est en train de disparaître du Rif. Avant l’introduction de la génétique étrangère, le hasch produit au Maroc avait des niveaux élevés de CBD, il contenait généralement un ratio de 3 pour 1 avec 3 parts de THC pour une part de CBD. Son goût sucré de menthe était également inimitable. Le Hash de Beldia produit  des effets cérébraux accompagnés d’une sensation relaxante. De nos jours, ce haschish est devenu rare. Par conséquent, la demande pour le Hash de Beldia traditionnel a augmenté. Le hash provenant du Maroc ne contient plus beaucoup de CBD, et son gout n’est plus aussi particulier.

Hash Traditionnel De Beldia

Hashish Traditionnel de Beldia, Ketama 1985.

Introduction de la génétique étrangère

Dans les années 1980, les touristes du cannabis ont apporté des graines d’autres variétés au cours de leurs voyages au Maroc. Plus tard, dans les années 1990, des producteurs marocains ont commencé à se rendre en Afghanistan et au Pakistan pour rapporter des graines d’Indica produisant plus de résine et de THC. Bien sûr, de nombreux agriculteurs riffaient ne se préoccupent pas d’enlever les plantes mâles, si bien que d’énormes quantités de pollen volent partout dans les montagnes et la plupart des plantes femelles sont entièrement ensemencées au moment de la récolte, ce qui contribue à la disparition de la Beldia.Aujourd’hui, de plus en plus de cultivateurs de cannabis importent de la génétique européenne et américaine. Ce sont des graines hybrides pour la plupart.

Agriculture non durable

Bien qu’ils produisent généralement des rendements plus élevés et de la résine de qualité supérieure, les hybrides ne sont pas bien adaptés au climat marocain, ils fleurissent tardivement et nécessitent beaucoup d’eau. Contrairement aux plantes de kif, il n’est pas possible de cultiver des hybrides modernes dans le Rif sans irrigation constante. Cela peut éventuellement devenir un grave problème pour le Maroc où l’eau est très rare.

Préservation de la landrace

En raison de la pollinisation croisée à travers le Rif et de la pression internationale pour cultiver de plus haut taux de THC et des variétés plus odorantes, les zones de culture de Beldia se réduisent d’année en année. Avec la rareté de l’offre, la demande de haschisch de Beldia est en plein essor. En 2023, la valeur d’un kilogramme de haschisch Beldia traditionnel dépassait celle d’un kilo de haschisch hybride moderne de deux fois son montant. L’émergence d’un segment de marché avisé semble jouer un rôle essentiel dans la préservation de la variété marocaine ancestrale, offrant ainsi une nouvelle incitation à sa préservation.

Modern Hybrids In The Rif

Les hybrides modernes remplacent rapidement la Beldia locale.

La préservation de la variété traditionelle marocaine peut principalement être attribuée à son gène  semi-autofloraison. Cette caractéristique unique permet à la Beldia de commencer à fleurir environ 6 à 8 semaines plus tôt que les variétés modernes. Cette aptitude réduit ainsi considérablement le risque de contamination par le pollen. Bien qu’une certaine contamination  persiste, elle est considérablement minimisée. Sans cette caractéristique distincte, la Beldia aurait probablement disparu depuis longtemps. Ceci souligne une importance vitale pour assurer sa survie. Les plantes de kif sont très différentes de la plupart des plantes de cannabis. Elles peuvent pousser presque sans eau et ont besoin de très peu d’engrais pour prospérer. Elles ont également un profil terpénique et une composition chimique uniques.

Il est donc primordial que les sélectionneurs de semences et les cultivateurs du monde entier préservent les graines de Beldia.  Il ne reste plus beaucoup de temps avant que la génétique ne soit perdue à jamais.